Quelques souvenirs sur Papus, rapportés par un de ses élèves, Louis Gastin.
Papus, l'Initiateur
Aucun homme n'a marqué mon esprit d'une empreinte comparable à celle qu'y laissa Papus.
Il m'a « initié », au sens le plus complet du mot ; c'est-à-dire qu'il m'a « ouvert les portes » et « montré les voies » d'une manière si lumineuse que ce qu'il m'a appris n'a cessé de me guider tout au long d'un demi-siècle d'études et de recherches, et m'éclaire encore.
Ce n'est, pas seulement, en effet, à des rites et à des disciplines, à des formules transmises de siècle en siècle à travers les âges, qu'il a ouvert mes yeux et mon esprit ; c'est aussi, et surtout, à la connaissance de l'Homme, en conformité de l'antique sagesse : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'Univers et les Dieux ».
On a beaucoup insisté, et l'on a eu raison, sur le côté « mystique » de sa puissante Personnalité ; mais je dois avouer que ce n'est pas cet aspect de Papus qui m'a le plus frappé dans nos rapports directs de Maître à Élève, et même à « ami », car j'ai conservé pieusement les témoignages écrits de sa précieuse « amitié ». J'étais jeune, et mes études classiques - en marge de tout enseignement religieux - m'avaient conduit à une philosophie (?) plutôt rationaliste, sinon matérialiste et athée.
Or, Papus se montrait à chacun « comme il voulait être vu », non, certes, par esprit d'équivoque - il était le plus sincère et le plus courageux des hommes - mais pour « adapter » aux aspirations individuelles de ses interlocuteurs les vérités universelles qu'il transmettait : « un rayon de lumière, frappant brutalement celui qui cherche sa voie dans la pénombre, l'aveugle ».
Papus marquait ainsi son respect de la « liberté personnelle », cette liberté qui est le propre de l'être humain et que nul n'a le droit de lui ravir. Profondément « libertaire » moi-même (au sens philosophique du mot), j'ai goûté plus que quiconque ce mode d'enseignement qui guide, éclaire et conduit sans jamais contraindre ni imposer ; et je me suis toujours efforcé d'agir ainsi à l'égard de tous ceux qui m'ont, à leur tour, suivi.
Cette attitude ne comporte aucune complaisance à l'égard de l'erreur manifeste et du mensonge avéré. Papus prenait quelquefois en mains le fouet dont le Christ se servait contre les « marchands du Temple ». Il y a des « critères de Vérité », dont l'Initiation transmet les « clefs » au chercheur de bonne volonté, à « l'Homme de Désir ». Nous avons le devoir de défendre la Vérité contre ses blasphémateurs, mais nous n'avons, pas le droit de l'imposer à qui ne voit pas... de la même manière que nous.
Papus n'a jamais « dirigé » personne, d'autorité, selon une seule « formule » et par une seule « voie » préétablies et arrêtées ne varietur, à l'usage de tous.
Aussi, l'initiation martiniste (premier degré) ne pouvait-elle être refusée à personne, quelles que soient les « idées acquises » par le néophyte, pourvu qu'il se sente libre de les abandonner pour une plus sûre Vérité.
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Pour mieux « guider sans contraindre », Papus demandait à chacun de ses disciples vers quelle étude il se sentait « personnellement » attiré : celle de la Nature, celle de l'Homme ou celle de Dieu. Il désignait ainsi les trois voies par lesquelles on peut accéder à la Connaissance : la voie expérimentale, la voie mentale et la voie « cardiaque » ou sentimentale.
Elles sont comme trois « sentiers » conduisant au même Sommet où elles se confondent dans l’Unité.
Il va de soi que la voie mystique (cardiaque) est la plus directe, parce qu'elle engage immédiatement dans l'enquête du « Divin », et qu'elle conduit d'emblée à Dieu ; mais, c'est la voie la plus simple, puisqu'elle ne demande rien à la Raison, et rien à l'expérience des Sens, mais tout uniquement au Cœur, c'est aussi la plus difficile à suivre pour qui n'accepte pas, en toute humilité, le « renoncement de Soi ».
Peut-être est-ce pour cela que je ne m'y suis pas engagé et que je n'ai pas perçu tout de suite l'aspect mystique de la personnalité de Papus. Je ne devais le rejoindre en cela qu'au « sommet », après un long périple à travers les dédales de la voie mentale.
L'étude de la Nature - par les voies expérimentales de la physique, de la chimie et, au-delà, de l'hyperchirnie plus connue sous le nom d'Alchimie - ne m'intéressait que médiocrement. Parmi ceux qui s'y adonnèrent, je citerai Jollivet-Castelot, que j'ai beaucoup connu et qui avait réalisé la transmutation des métaux avec les vieux procédés aujourd'hui évidemment dépassés par la science atomique.
J'avais opté, quant à moi, pour l'étude de l'Homme et des « forces inconnues » qui sont en lui ou dont il peut directement disposer (dans une mesure évidemment relative). Je ne pouvais avoir, dans cette voie, un meilleur Maitre que Papus lui-même.
Antérieurement à notre rencontre à Paris, la lecture approfondie de son admirable Traité de Magie pratique m'avait ouvert un immense horizon, à partir de la constitution physiologique et psychologique de l'être humain : ternaire d'inconscients dominé par un Conscient.
La fréquentation assidue de l'École Hermétique, au n° 13 de la rue Séguier, devait grandement favoriser mon évolution ; certains soirs, je retrouvais Papus à l'École Magnétique de la rue Saint-Merri, où il nous enseignait la physiologie humaine avec la clarté et la simplicité (la clarté dans la simplicité) qui lui étaient propres.
Souvenirs délicieux et émouvants : je revois encore le cabinet de travail de Papus, en son appartement privé du 5 de la rue de Savoie, où il recevait volontiers quelques « familiers », dès le début de la matinée ; le vaste bureau américain encombré de papiers... Et je revois dans ma pensée le « Docteur » (il n'aimait pas qu'on lui dise « Maître ») pénétrant « en négligé » et déambulant en énonçant les « pensées » écloses à la sortie du sommeil. Nous prenions des « notes » qui allaient en rejoindre d'autres dans les tiroirs où Papus puiserait pour rédiger un article ou composer un manuscrit.
Comme Aristote, Papus enseignait en marchant.
(A suivre)
Source
L'Initiation, numéro 1 de 1960, pages 3 à 5 [Télécharger - Source : L'Initiation]