Article paru dans Le Figaro (62ème année, 3ème série, n°303) du dimanche 29 octobre 1916, sous la plume d'Albert de Pouvourville1.
Le Figaro du dimanche 29 octobre 1916
C'est une figure bien originale qui vient de disparaître et qui ne se mesurait à aucune échelle et à aucun barème connus. Je ne pense pas, en parlant ainsi, à l'interne des hôpitaux qu'était Gérard Encausse (le plus cher collaborateur du fameux docteur Luys). Je ne pense pas davantage au médecin hardi qui, tantôt à Paris, tantôt à Tours, suivit des thérapeutiques toutes personnelles. Je ne pense même pas au coeur pitoyable, au bienfaiteur secret de tant d'infortunes qui, dans sa petite clinique de la rue Rodier, recevait, soulageait, guérissait et secourait toutes les misères humaines qui pleuraient autour de lui. Je pense au travailleur infatigable, au chercheur acharné qui tenta cette chose paradoxale : mettre à la portée populaire la plus revêche des sciences, la science magique, celle que les maîtres de l'antiquité interdisaient de divulguer au foules. Et, sous le nom, volontairement bizarre, que dès sa jeunesse il s'infligea, le « docteur Papus » fut l'apôtre de la « désoccultation de l'occulte ».
L'occulte ! la magie ! Les âmes simples, en mal de faux mysticisme, les esprits mal pondérés, qui, ayant rejeté leur religion native, ont besoin d'en pratiquer une autre, voient, sous ce substantif vénérable et si mal compris, tout l'appareil satanique du moyen-âge, les sorcelleries des campagnes et les bouillons de sorcières, les fantasmagories des médiums et le commerce ridicule des tables tournantes. Ce n'est pas cela qu'il faut voir dans l'occulte magique : ce n'est pas cela qu'y voyait Papus.
Il y voyait la reconstitution d'une science oubliée, et pourtant solide dans son unité majestueuse, depuis le temps des Mages d'Our en Chaldée, des Indiens du Cycle de Ram, du mystérieux chinois Fohi, et de la Genèse moïsiaque jusqu'au révolutionnaire Cazotte et à ce fameux Fabre d'Olivet, en passant par les Templiers, les Rose-Croix d'Allemagne et les Francs-Juges. Seulement une telle étude, une telle restitution, sur des documents rares et souvent inintelligibles, réclame le labeur le plus désintéressé, le plus abstrus, des veilles longues et arides, et la connaissance des langues ésotériques, parmi quoi le sanscrit et l'hébreu ne sont pas les plus difficiles.
Voilà qui rebute bien vite les simples curieux, les chercheurs superficiels, les amateurs de phénomènes, et les tenants de l'Invisible. Ces cohortes médiocres, qui sont la proie des simulateurs et des flibustiers, entouraient Papus de leur admiration bruyante, fastidieuse et souvent compromettante. C'est pourquoi, et sans qu'il en fut responsable, Papus fut souvent en opposition avec ses meilleurs et ses plus élevés compagnons de recherches et d'études, tels que Péladan, et surtout Stanislas de Guaita.
C'est à ce dernier surtout, mort à trente-sept ans, après un labeur impeccable et surhumain, que vont nos plus fidèles souvenirs. Celui-ci, par une hautaine attitude et une existence solitaire, sut se garer, lui-même et son œuvre, des embrassements d'une multitude soucieuse seulement d'un merveilleux de mauvais aloi et d'une science superficielle, mensongère et rémunératrice. Les tempéraments et les caractères des deux camarades se valaient : mais Papus eut parfois trop de bonté. Il le paya par les déconvenues de la carrière et les déboires de l'amitié.
Sa disparition est une occasion nécessaire - comme fut celle de Guaita - pour rendre une publique justice à ces chercheurs. Leurs disciples, dispersés çà et là par les évènements et par leurs propres passions, ne les remplaceront sans doute que par une « monnaie de Turenne » insuffisante.
Et quand même le temps démontrerait qu'ils furent peut-être trop hasardeux et hardis, l'harmonie de leur existence et la beauté de leurs œuvres extérieures témoigneraient toujours, devant leurs fils intellectuels, de leur bonne foi, et de leur foi.
Albert de Pouvourville
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Albert de Pouvourville
Albert de Pouvourville (7 août 1861 - 30 décembre 1939) était un orientaliste et ésotériste français. Initié au Tao, il prit le pseudonyme de « Matgioi ». Dans le courant de l'année 1902, il écrivit trois articles pour la revue L'Initiation, dirigée par Papus :
- La clef orientale des faux paradis in L'Initiation, avril 1902, pages 6 à 41
- Etudes chinoises in L'Initiation, mai 1902, pages 149 à 162
- La morale chinoise in L'Initiation, août 1902, pages 108 à 112
Principaux ouvrages d'Albert de Pouvourville
- Le Tao de Laotseu, Librairie de l'Art indépendant, 1894 [Télécharger - Source : Gallica]
- Le taoïsme et les sociétés secrètes chinoises, Chamuel, 1897 [Télécharger - Source : Gallica]
- Nos Maîtres - Stanislas de Guaita, Librairie hermétique, 1909 [Télécharger - Source : Google]
Liens externes
- Ouvrages d'Albert de Pouvourville à la Bibliothèque Nationale de France (BnF Data)
- Article Albert de Pouvourville sur Wikipedia