Une interview de Papus

Interview de Papus extraite de la revue L'Initiation de septembre 1901. Il s'agit d'extraits d'une lettre envoyée par Papus à Jules Bois1. Papus y explique comment il est passé du matérialisme au mysticisme. Cette interview de Papus est complémentaire de l'article Comment je devins mystique (1895).

De l'école de médecine au mysticisme chrétien

Nous extrayons d’une longue lettre adressée à M. Jules Bois, sur sa demande, par notre directeur, les passages suivants qui nous semblent devoir intéresser le plus nos lecteurs :

Mon cher Bois,

Au début de votre enquête sur le mystère et son étude dans la société contemporaine, vous avez l’obligeance de me demander mon avis et de me prier de raconter à nos lecteurs la voie qui a pu me conduire des amphithéâtres et des laboratoires de l’École de médecine jusqu’à ce mysticisme chrétien qui fait aujourd’hui mes délices après avoir, un des premiers, exploré les centres d’Europe où l'on peut voir et pratiquer ces faits étranges d’apparitions, d'Esprits parlant et impressionnant la plaque photographique, de guérisons à distance et de prophéties, centres ardents et de foi naïve des spirites, ou centres fermés aux profanes et jaloux de leurs secrets des Illuminés et des Hermétistes de France, d'Angleterre et d’Allemagne.

Le but réel de ces recherches ardues ? me demanderez-vous. Est-ce la Fortune ? Détrompez vite ceux qui auraient encore ces idées pratiques. On mange dans ces recherches tout ce qu’on peut gagner par l’exercice de sa profession profane, et, comme il nous est interdit de demander la moindre cotisation à nos élèves, nous dédaignons le « vil métal » et nous laissons les malins s'écrier : « Ces chercheurs d’Esprits, ce qu'ils doivent en gagner de l'argent avec la bêtise humaine ! » Première déception pour les chasseurs de fortune, nous ne craignons pas l’impôt sur le revenu des études occultes.

Mais passons et venons à des sujets plus intéressants pour vos lecteurs. Il est toujours ridicule de parler de soi, mais, puisque c‘est l’évolution de l'Esprit d’un matérialiste vers l'occultisme qui vous intéresse, vous me pardonnerez d‘être un moment ridicule et d’offrir ma tête en holocauste aux hommes dits sérieux et aux psychologues qui voudraient se la payer à bon compte, le mysticisme rend humble et oublieux des sarcasmes. Donc, lors de mes débuts comme externe des hôpitaux, j‘étais matérialiste ardent et l'évolution de Darwin me semblait devoir expliquer tout l'inexplicable. Je professais dans les cours du soir quelques sciences et j'ai même commis à cette époque (1884) une plaquette intitulé Hypothèses où le matérialisme le plus aigu le dispute au pessimisme le plus enfantin.

Je fus introduit dans un centre de chercheurs de mystères occultes. Je les considérai comme de bons toqués et me renfermai plus que jamais dans les œuvres d'extériorisation sociale, fondant des sociétés à droite et à gauche et illustrant de ma présence des groupes étranges. Je me vois encore quittant l'hôpital Lariboisière pour représenter la « Science » (rien que cela) au Chat-Noir ou pour m’exercer à la fabrication et au maniement des ballons dans la « Société d’expériences aérostatique de Montmartre » où j’étais lieutenant photographe avec une foule de collègues devenus aujourd’hui préfets, magistrats, députés ou aéronautes, ceux qui ont bien tourné !

Mais mon entrée dans le milieu des toqués m’avait intéressé aux vieux alchimistes et c’est par leurs livres que j’ai commencé mes études à la Bibliothèque Nationale d‘où je ne sortis plus pendant douze ans que pour aller à mes hôpitaux, à la Faculté ou... à la caserne. Car je fus longtemps soldat de deuxième classe, n’ayant pas pu verser quinze cents francs à l'État, et je me vois encore promenant les palmes sur ce brillant uniforme dans ce milieu exquis d’intelligences et d‘artistes que Mendès a décrit en sa Maison de la Vieille.

C’est alors que je retrouvai la clef perdue du Tarot, c’est alors que je bredouillai mes premières lettres hébraïques pour traduire le « Sefer Jesirah » et c'est à ce moment aussi que je me suis rendu compte que les modernes ne comprenaient plus rien de la Science antique et que j’ai voulu venger les anciens de cette injustice. C’est par là que je fus amené au Spiritualisme scientifique. Sur les cadavres, à l'amphithéâtre, j’ai vérifié les traditions bohémiennes sur les lignes de la main dans leur rapport avec l‘âge de la mort. Voulant me rendre compte de ce que les modernes pouvaient connaître de la Magie, je me suis fait attacher comme externe et comme remplaçant d'interne aux services de Mesnet à Saint-Antoine, de Gilbert Ballet faisant un remplacement à Dubois, puis de Luys à la Charité. Je devins, là, chef de son laboratoire pendant six ans, ce qui, avec la médaille des hôpitaux, fut mon bâton de maréchal.

C’est dans le laboratoire de Luys que nous pûmes étudier avec fruit le transfert hypnotique d'un malade au sujet, que je suis encore seul à pratiquer aujourd’hui. C’est là que j’ai découvert le transfert par les couronnes aimantées et que nous avons pu faire les premières vérifications expérimentales des faits d'extériorisation et d’envoûtement, c’est là enfin que j‘ai pris l’habitude de remplacer mes sens sujets à l‘erreur par le contrôle photographique, ce qui m’a permis de réfuter l'opinion de ceux qui voient en nous des hallucinés, car la plaque photographique, est difficilement hallucinable.

Faut-il vous dire qu’avant ma réception au titre de docteur (1893) j'avais bataillé ferme contre le matérialisme et j’avais largement développé le martinisme et les sociétés de ceux que, dans mon ignorance, j'appelais jadis les toqués. On me l’a bien rendu depuis. Je suis parvenu expérimentalement à la certitude de la continuité de l'existence après la mort physique, et les travaux de Camille Flammarion, de M. de Rochas et des Sociétés modernes d’expériences psychiques et de psycho-physiologie conduiront, à mon avis, beaucoup de leurs membres aux conclusions auxquelles je suis arrivé il y a presque quinze ans.

On sortira de la foi naïve imposée par les clergés, comme on sortira du crétinisme intellectuel des affirmations matérialistes des francs-maçons français, pour revenir, par l’expérience personnelle, à une certitude de l’existence des êtres invisibles et de la mission divine du Christ, cent fois plus solide que la plus dure des fois aveugles. Mais il faut dire bien haut que ces faits de médiumnité et de magie ne sont pas encore de la Science, car ils ne peuvent être reproduits par la seule volonté humaine, à part les faits de théurgie, inaccessibles aux profanes. Nos sociétés, nos écoles, nos centres initiatiques, conduisent, par divers chemins, vers ce temple du mystère, qui, tels les temples indous, laisse l’étranger pénétrer partout sauf dans le sanctuaire.

Si nous sommes des imposteurs et des fous comme d'aucuns le prétendent, on peut nous laisser à nos folies et à nos impostures, puisque c’est de nos deniers que nous entretenons nos écoles. Cela vaut mieux que de faire de la politique. Si nous sommes au contraire les obscurs serviteurs de maîtres vivant au milieu du peuple et qui nous apprennent par leur exemple à savoir souffrir, prier, mourir et pardonner, alors qu'on nous laisse obéir et choisir le moment où la certitude expérimentale et scientifique de l’immortalité sera nécessaire pour supporter le martyre imposé par l'anarchie et les invasions triomphantes.

Source

L'Initiation, septembre 1901, pages 273 à 276 [Télécharger - Source : L'Initiation]

Notes

  1. Jules Bois (1868-1943) est notamment l'auteur de plusieurs essais sur l'occultisme. Il se battit en duel avec Papus en 1893.